Lucile Hadzihalilovic
A Propos de Earwig...
Lucile Hadzihalilovic poursuit son exploration d’un cinéma du trouble et du mystère avec Earwig, œuvre hypnotique et glaçante, à mille lieues du cinéma narratif traditionnel. Adapté librement du roman de Brian Catling, ce long-métrage s’impose comme une expérience sensorielle singulière, à la lisière du fantastique et de l’onirisme, où le silence pèse plus que les mots.
Lucile Hadzihalilovic affirme ici une esthétique radicale, où l'image prime sur le récit. Le film progresse par strates d’angoisse sourde, dans des décors humides et crépusculaires, traversés de bruits étouffés, de couloirs interminables, et de figures humaines presque fantomatiques. La réalisatrice travaille la matière filmique comme une sculptrice : chaque plan est soigneusement composé, chaque silence calculé, chaque frisson pesé.
Loin des effets spectaculaires, Earwig mise sur une angoisse rampante, presque tactile, qui rappelle le cinéma de David Lynch ou celui de Tarkovski, avec une approche plus clinique. Les dialogues sont rares, le rythme volontairement lent, presque hypnotique, comme un rêve fiévreux dont on ne peut se réveiller.
Plutôt qu’un récit à résoudre, Earwig propose une énigme à contempler. Les symboles abondent — la glace, les dents, les miroirs, l’eau — mais refusent toute explication claire. C’est un cinéma qui dérange, qui exige du spectateur qu’il accepte de ne pas tout comprendre. À travers Albert et Mia, Hadzihalilovic questionne peut-être le contrôle, la transmission, le deuil, ou encore la métamorphose — mais toujours de manière elliptique, jamais didactique.
Troublant, lent, et profondément sensoriel, Earwig n’est pas un film que l’on "aime" au sens traditionnel du terme. C’est une expérience à vivre, ou à fuir. Certains y verront une œuvre fascinante, presque incantatoire ; d'autres, un exercice hermétique. Quoi qu’il en soit, Lucile Hadzihalilovic confirme avec Earwig sa place unique dans le paysage du cinéma européen : celle d’une cinéaste du mystère, de la suggestion, et de l’étrangeté pure.